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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/106

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occasion, ce qui n’est pas toujours possible pour toute autre marchandise[1].

Mais si au lieu de considérer la situation d’un individu, nous considérons l’ensemble des individus constituant une société, le point de vue change et la thèse des économistes, en vertu de laquelle le plus ou moins de numéraire est chose indifférente, devient plus exacte. Peu importe, en effet, de voir décuplée la quantité de numéraire que je puis avoir en ma possession, si pour tous les autres membres de la société il en est de même. Dans cette hypothèse, en effet, je ne serai pas plus riche, car la richesse est chose purement relative, et je ne pourrai même pas me procurer une plus grande somme de satisfactions que par le passé, puisque la somme totale de richesses sur laquelle portent ces « bons » ne se trouvant pas accrue, chaque bon désormais ne donnera droit qu’à une part dix fois moindre : — en d’autres termes, chaque pièce de numéraire aura un pouvoir d’acquisition dix fois moindre, ou en d’autres termes encore, tous les prix se trouveront décuplés — et ma situation restera la même.

Et pourtant dans leurs rapports les uns vis-à-vis des autres, les pays ont intérêt, tout comme les individus dans leurs rapports entre eux, à être bien pourvus de numéraire. Si la quantité de numéraire existant en France venait à décupler, cela ne changerait rien sans doute à la situation respective des Français les uns vis-à-vis des autres (en supposant que

  1. Le numéraire, en dehors de cette qualité d’être le seul instrument d’acquisition direct, en possède une autre fort importante : il est le seul instrument de libération. Il n’est aucune autre richesse qui jouisse de cette vertu singulière, car la loi, comme l’usage, ne reconnaît d’autre mode de libération que la monnaie. Il n’est personne, dans le monde commercial ou industriel, qui ne soit toujours débiteur de sommes plus ou moins considérables. Or, vainement le commerçant ou le fabricant posséderait-il en magasin des marchandises pour une valeur supérieure au montant de ses dettes (et il arrive en effet plus d’une fois que dans une faillite l’actif se trouve, tout compte fait, supérieur au passif) — s’il n’a pas au moment voulu, pour faire honneur à sa signature, cette richesse spéciale qui s’appelle des espèces monnayées, il est déclaré en faillite. Est-il donc surprenant qu’on attache une importance si grande à une marchandise de la possession de laquelle peut dépendre à tout instant notre crédit et notre honneur ?