Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/309

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C’est ainsi que les hommes d’État conçurent l’idée de faire servir les droits de douane à écarter la concurrence étrangère et à développer l’industrie nationale : ces droits perdirent leur caractère fiscal pour devenir protecteurs[1]. Cromwell en Angleterre, Colbert en France, furent les premiers hommes d’État qui aient créé de toutes pièces un vrai système protectionniste. Colbert le formulait lui-même en trois points : 1° repousser par des droits protecteurs l’importation des produits fabriqués ; 2° au contraire favoriser par une réduction de droits l’importation des matières premières et de tout ce qui sert aux fabriques ; 3° surtout favoriser par une réduction des droits, ou même au besoin par des primes, l’exportation des produits du pays.

Ce système, qu’on désigne généralement, sous le nom de Colbertisme, a régné sans conteste jusqu’à l’apparition des Économistes. On sait que ceux-ci (Voy. p. 12) prirent pour devise « laissez-faire, laissez-passer », et qu’ils ne combattirent pas moins énergiquement pour la liberté des échanges contre le système protectionniste que pour la liberté du travail contre le régime corporatif. Mais la Révolution française, qui fit triompher leur doctrine en ce qui concerne la liberté du travail, ne la réalisa nullement en ce qui concerne la liberté du commerce. Il est vrai que vingt ans de guerre

  1. Cependant les droits de douane peuvent avoir encore de nos jours un caractère fiscal. Ainsi l’Angleterre, quoique se déclarant tout à fait libre-échangiste, frappe cependant certains produits (thé, café, sucre, tabac et vins) de droits qui tiennent une place considérable dans son budget puisqu’ils ne représentent pas moins de 300 millions de francs, mais ils ont un caractère purement fiscal. À quoi le reconnaît-on ? À ceci que l’Angleterre ne veut ou ne peut produire sur son sol aucun de ces articles.
    Il y a un grand intérêt pour un pays, quand il établit des droits de douane, a bien savoir le caractère qu’il veut leur attribuer. Ce n’est pas ici une simple question de mots. Quand les droits ont un caractère fiscal, il sera de l’intérêt du gouvernement de les abaisser suffisamment pour développer l’importation des produits taxés. L’expérience indique en effet que pour cette taxe comme pour les autres, les taxes postales, par exemple, le rendement de l’impôt augmente en général en raison de sa modicité. Au contraire si les droits ont un caractère protecteur, il s’efforcera de les élever suffisamment pour restreindre l’importation des produits taxés.