Aller au contenu

Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

POURQUOI CE MODE DE RÉPARTITION NE PARAIT PAS CONFORME À L’IDÉE DE JUSTICE.


Telle est la façon dont les économistes expliquent et justifient le mode actuel de répartition des richesses. L’explication est bonne : la justification ne l’est pas : elle n’est même pas exempte d’une certaine ironie.

Voici un ouvrier mineur qui est payé 4 francs par jour, soit 50 centimes par heure, pour extraire du charbon, et voici un pianiste qui est payé 12.500 francs pour jouer deux ou trois morceaux dans un concert[1]. Si l’on demande pourquoi le premier est payé dix mille fois moins que le second, l’école de Bastiat nous répondra hardiment : « Parce que celui-ci rend à la société un service dix mille fois plus grand que celui-là… et la preuve, c’est que la société consent à le payer dix mille fois davantage. Elle peut avoir tort, mais nous ne pouvons apprécier la valeur des services rendus que par le prix que la société leur attribue[2] ».

Soit ! mais ne dites pas alors que le mode de répartition est fondé sur une idée de justice. Dites que les produits, les services, les travaux les plus utiles aux hommes, à commencer par le travail manuel, peuvent n’avoir presqu’aucune valeur d’échange et par conséquent laisser dans la misère ceux qui n’ont que cela à offrir sur le marché, tandis au contraire que

  1. « L’illustre pianiste Paderewsky vient de signer un engagement aux États-Unis : il donnera cent concerts et touchera 1.250.000 francs (soit 12.500 francs par concert). Il vient de recevoir un cachet de 35.000 francs pour une seule audition à Chicago (Extrait de journaux américains de 1895).
  2. Et on ne manquera pas de rappeler à ce propos le mot de je ne sais quelle cantatrice, répondant à l’impératrice Catherine qui se plaignait qu’elle osât demander un traitement plus considérable que celui de ses maréchaux : « Hé bien ! faites chanter vos maréchaux »