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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/403

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Désormais, par ces quatre attributs, voilà le droit de propriété définitivement constitué et il va agir avec une force irrésistible comme instrument de répartition.

Par l’hérédité, le don et le legs, opérant de concert, il va rendre la richesse indépendante du travail personnel en la transmettant à ceux qui n’ont pas travaillé, et aggraver, par l’effet du temps et de l’accumulation, les inégalités individuelles.


    elle. Ce conflit apparaît notamment dans le fait que certains héritiers dits réservataires ont droit à une portion de la fortune paternelle, nonobstant la volonté contraire du père de famille. Voilà donc deux idées — celle de la propriété individuelle progressivement élargie jusqu’à la liberté de tester et celle de l’antique propriété familiale avec conservation des biens dans les familles — qui entrent ici en lutte. On peut s’étonner qu’une législation issue de la Révolution de 89 ait voulu consacrer ce second principe qui a une origine féodale et aristocratique. Mais cette contradiction apparente s’explique par le fait que les législateurs du Code Napoléon n’ont vu dans la liberté de tester qu’un moyen de ressusciter le droit d’aînesse — crainte chimérique comme le prouve l’exemple des États-Unis — et au contraire dans la succession ab intestat obligatoire d’assurer l’égalité des parts entre les enfants.
    La liberté de tester doit être acceptée comme l’aboutissant logique et légitime de l’évolution du droit de propriété, mais l’hérédité ab intestat n’a plus aujourd’hui de raison d’être que comme interprétation raisonnable de la volonté du testateur quand il n’a rien dit. Il est naturel en effet de penser quand il s’agit de proches parents, enfants, époux, père, mère, ou même frère ou sœur, que si le décédé avait voulu les déshériter, il l’aurait dit expressément. S’il n’a rien dit, on peut présumer qu’il a voulu leur laisser ses biens.
    Il est vrai qu’on ne saurait oublier que tout propriétaire a des devoirs vis-à-vis de ses enfants, de ses père et mère, et de son conjoint — c’est-à-dire de ceux à qui il a donné la vie, de ceux de qui il l’a reçue, de celui ou celle avec laquelle il l’a partagée. Il y a là des obligations, au moins alimentaires, que toute législation lui impose pendant sa vie et que sa mort, bien loin de supprimer, ne fait qu’aggraver. Il est donc juste que la liberté de tester soit limitée par une certaine part assurée à ces catégories de personnes. Mais, comme le dit très bien Montesquieu « si la loi naturelle ordonne aux pères de nourrir leurs enfants, elle ne les oblige pas d’en faire leurs héritiers ».
    D’ailleurs quand il s’agit d’un cousin ou même d’un neveu il est absurde de faire le même raisonnement et d’interpréter le silence du défunt comme leur constituant un droit. Est-il utile de faire remarquer d’ailleurs qu’un semblable droit de succession ne peut en aucune façon stimuler l’activité productrice, et qu’il risque bien plutôt d’encourager la paresse par les « espérances »  » (c’est le mot consacré) qu’il fait naître ? L’héritage d’un oncle d’Amérique est un mode d’acquérir qui ne diffère guère de la loterie, et qui exerce une action non moins démoralisante sur celui qui en bénéficie que sur ceux qui l’envient.