Aller au contenu

Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

DU LUXE.

Dans son acception ordinaire, le mot luxe signifie la satisfaction donnée à un besoin superflu. Or, cette définition, en soi, n’emporte aucune appréciation défavorable, car, comme l’a dit spirituellement Voltaire, le superflu est chose très nécessaire. Nous devons souhaiter qu’il y ait un peu de superflu, et par conséquent un peu de luxe, pour tout le monde même pour les plus pauvres. La nature elle-même nous donne l’exemple d’un luxe fastueux et parfois extravagant dans la façon dont elle décore les pétales de ses fleurs, l’aile de ses papillons, ou la cuirasse de ses plus microscopiques insectes. D’autre part l’histoire nous apprend que tout besoin qui apparaît pour la première fois dans le monde est considéré comme superflu. Il doit l’être nécessairement : — premièrement parce que personne ne l’a encore ressenti ; — secondement parce qu’il exige vraisemblablement un travail considérable pour sa satisfaction à raison même de l’inexpérience de l’industrie et des tâtonnements inévitables des débuts. S’il est un objet qui paraisse aujourd’hui indispensable, c’est assurément le linge de corps : « être réduit à sa dernière chemise » est une expression proverbiale pour exprimer le dernier degré du dénuement. Cependant à certaines époques une chemise a été considérée comme un objet de grand luxe et constituait un présent royal. Mille autres objets ont eu la même histoire[1]. Si donc on s’était prévalu de la doctrine ascétique pour réprimer tout besoin de luxe, on aurait étouffé

  1. Les fourchettes, par exemple, les montres, la bicyclette. Au reste, quant aux fourchettes, il n’est pas démontré que ce luxe-là soit préférable aux simples baguettes des Japonais et des Chinois qui répondent aussi bien et mieux au besoin de propreté et d’élégance et coûtent beaucoup moins.