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Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/580

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tableaux, c’est bien (quoiqu’il vaudrait mieux encore qu’il les donnât à un musée public). Mais que, comme les grossiers barons d’autrefois, il engloutisse à ses repas assez de viande et de vin pour nourrir vingt personnes ou que, pour se donner le plaisir de faire tirer à ses invités quelques coqs de bruyère, il convertisse en terrain de chasse des terres qui auraient pu produire des aliments pour plusieurs centaines d’êtres humains, voilà l’abus. Remarquez que dans tous ces cas le progrès est hors de cause[1].

Il ne faudrait pas s’imaginer que les déplorables effets du luxe sous forme de gaspillage de travail et de richesses, soient uniquement imputables aux riches. Il y a aussi un luxe des pauvres et qui n’est pas moins onéreux pour la Société. La valeur que chaque jour des consommateurs pauvres jettent dans leurs verres sous la forme d’absinthe aux reflets d’opale représente une valeur infiniment supérieure à celle de la perle que Cléopâtre jeta dans sa coupe, quoiqu’elle valût, je crois, 300.000 sesterces, et la reine du moins n’en fut pas empoisonnée[2] !

  1. Les deux thèses, pour et contre le luxe, ont été controversées depuis l’antiquité. Voy. la thèse contre, dans M. de Laveleye, Le Luxe, et la thèse pour, dans M. Leroy-Beaulieu, Traité d’Économie politique. Comme documents, on peut consulter les quatre volumes de M. Baudrillart sur l’Histoire du Luxe.
    On sait qu’à maintes reprises, dans l’antiquité comme au moyen âge, des lois somptuaires ont prohibé les dépenses de luxe. Voy. Roscher, Economie politique, traduc. Wolowski, tome II.
  2. L’alcoolisme est une forme effroyable du luxe et propre encore plus aux classes pauvres qu’aux classes riches probablement, il est vrai, parce que les premiers n’ont guère d’autre luxe. Les Français consomment aujourd’hui 160 millions de litres d’alcool pur par an, qui leur est préparé et versé par 500.000 distillateurs et débitants, sous la forme d’une dizaine de milliards de petits verres à deux sous, et qui représente une dépense annuelle d’un milliard de francs environ. Et encore cette énorme dépense est-elle relativement peu de chose à côté des pertes impossibles à évaluer qu’elle entraîne sous forme d’incapacité de travail, maladies, démence, crimes et suicides.
    L’alcoolisme est une des questions à l’ordre du jour et des plus graves et a fait l’objet d’un grand nombre d’études (Voy. entre autres La femme et l’alcool par M. Frank). On peut dire que l’alcoolisme n’existait pas en France il y a 25 ans et dans ce court laps de temps il a pris les proportions d’un véritable fléau. On peut indiquer comme remèdes :
    1° L’initiative individuelle et la propagande s’exerçant par les sociétés