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Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/17

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in-folio qu’il ouvrait sur le bras d’un fauteuil pour épier avec moi, de feuille en feuille, jusqu’où persévérait le travail d’un insecte rongeur. Le jurisconsulte, en consultant un vieux texte, avait admiré ces petites galeries clandestines et s’était dit : « Tiens ! cela amusera mon enfant ». Et cela m’amusait beaucoup, à cause aussi de l’amusement qu’il paraissait lui-même y prendre.

Mais le souvenir du cabinet de travail est resté lié surtout à celui des lectures qu’il m’y faisait. Mon père avait à ce sujet des idées très particulières, que n’avait pas épousées ma mère ; et souvent je les entendais tous deux discuter sur la nourriture qu’il convient de donner au cerveau d’un petit enfant. De semblables discussions étaient soulevées parfois au sujet de l’obéissance, ma mère restant d’avis que l’enfant doit se soumettre sans chercher à comprendre, mon père gardant toujours une tendance à tout m’expliquer. Je me souviens fort bien qu’alors ma mère comparait l’enfant que j’étais, au peuple hébreu et protestait qu’avant de vivre dans la grâce il était bon d’avoir vécu selon la loi. Je pense aujourd’hui que ma mère était dans le vrai ;