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Page:Gilkin - La Nuit, 1897.djvu/217

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Les lèvres des désirs m’environnent de feu !
Je sens frémir en moi l’avenir qui veut vivre !
Vivant, te voir vivant ! Oui, la terre m’enivre !
Et je veux te faire homme, ô toi qui n’es qu’un dieu !

Mais quoi ! pour quelques jours d’une égoïste ivresse
J’oserais t’arracher au bienheureux néant
Et te précipiter, sous l’azur effrayant,
Dans l’horreur de ce monde et sa noire détresse ?

J’oserais engendrer avec ton corps chéri
Les germes d’où naîtront tes futures souffrances,
Tes larmes, tes sanglots et tes désespérances
Jetant aux cieux muets leur inutile cri ?

Quoi ! je te livrerais aux douleurs de la terre ;
J’incarnerais en toi les maux de l’univers ;
J’offrirai aux démons ton sang pur et tes chairs
Innocentes, ô ma victime involontaire,

Et je pourrais prévoir sans mourir de remord
Ton pauvre cœur brisé, brûlé de mille fièvres,
Tes pauvres yeux en pleurs, tes pauvres douces lèvres
Saignant sous les baisers féroces de la Mort ?