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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/113

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Rédemption.


JUSQU’À LA MORT.


Romaine, remontée de la grève depuis deux jours, n’était pas sortie. Elle n’avait non plus revu Réginald. Cette longue absence la rendait perplexe. Après le repas du midi, Johnny Castilloux avait demandé à sa petite-fille de lui rapiécer son tricot. Plusieurs fois, l’aiguille était restée immobile dans ses doigts, tandis que, le front penché sur son ouvrage, elle songeait. Le grand-père, assis devant le poêle, l’observait à la dérobée. Que signifiaient ces rêveries inaccoutumées, ce front abattu, ce regard noyé et ces yeux bistrés ? N’y comprenant rien, le vieux fut inquiet.


Plusieurs fois l’aiguille était restée immobile dans ses doigts…

— As-tu du mal, la p’tite fille ? lui demanda-t-il tout à coup en la regardant avec angoisse.

Romaine pencha plus bas le front, feignant de mieux examiner la reprise et étouffa un sanglot.

Elle répondit d’une voix mal assurée :

— Eh non, grand père, je suis bien, merci.

Cependant ! le vieillard, s’il ne se fût pas détourné, eût vu une larme, la larme de l’ange tenté tomber sur la grosse laine brune du tricot.

Johnny Castilloux, que la mine affligée de sa petite-fille chagrinait beaucoup, de mauvaise humeur contre lui-même de n’y pouvoir rien, secoua la cendre de sa pipe sur le tablier du poêle et sortit.

Romaine avait perdu sa gaieté. Au gazouillis dont elle égayait la maisonnette du pêcheur avait succédé un silence empreint de tristesse. Le carmin estompé de hâle avait disparu de ses joues. .Ses yeux brillaient d’un éclat peu rassurant. Elle s’étiolait, se consumait comme le lys exposé à un soleil trop ardent. Plusieurs fois la nuit, incapable de