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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/130

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Rédemption.

ce domaine de la mort. ; le pied buttait contre un gobelet rouillé ou un éclat de faïence.

Et malgré tout cela, il régnait plus de grandeur et de majesté dans cet humble cimetière, où les morts ont dit adieu pour toujours aux ennuis et aux souffrances de la vie, dans ce cimetière véritablement le symbole de l’égalité dans la mort, que dans les opulentes et tapageuses nécropoles, où, à l’aspect des caveaux et des mausolées des riches, on croit voir le luxe et les rivalités du monde se continuer dans le trépas.

Les pelletées de terre tombaient sur la dépouille de Romaine avec ce bruit sourd que connaissent seuls, ceux qui l’ont entendu tomber sur des restes regrettés. Chaque pelletée était un tour de vis à son âme enserrée dans un étau de souffrance.

Soudain, il n’entendit plus rien : il vit. Il vit le corps si jeune, si beau, si resplendissant de Romaine rongé par les vers comme une proie longtemps attendue. Il vit ces grandes prunelles noires pleines de soleil, d’amour et de candeur, cette bouche d’enfant, fleur radieusement épanouie, ce nez aux narines frémissantes de volupté virginale, il vit tous les charmes de cette idéale créature fourmillant de vers gluants, grouillants, dévorants.

Alors, une douleur immense l’envahit. Pris d’une terreur indicible, sentant le terrain manquer sous ses pieds et la tête lui tourner, il se sauva comme un fou pour ne pas s’évanouir sur la fosse de la morte.

Arrivé dans sa chambre, Réginald en ferma la porte à double tour et se laissa tomber sur son lit. Pour qu’on n’entendît pas ses hurlements, il se bâillonna en s’enfouissant la tête dans son oreiller.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémissait-il, tout est fini, tout, tout ! Pas une force, pas une volonté ne pourront me la rendre. Elle qui, il y a quatre jours m’enivrait de ses regards, de ses baisers — ah ! les baisers grisants… — est là dans