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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/135

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deuxième partie.


LA BREBIS ÉGARÉE.



Onze heures. Tout semble dormir dans un appartement de la rue Victoria, à Montréal. Et cependant, derrière les jalousies hermétiquement closes, dans un boudoir, une jeune fille veille. Cette jeune fille, c’est Claire Dumont. La seule lumière dans la pièce est la flamme qui dans la cheminée danse avec des figures bizarres et fantasmagoriques.

Pelotonnée dans une bergère en peluche olive, les pieds confortables sur un pouf et chaussés dans des mules en satin saphir piqué bordées de duvet. Claire rêve, Elle rêve en cette froide nuit de fin de septembre, à son enfance, à ses premières années, à sa jeunesse déjà vieille. Elle se revoit toute petite, agenouillée aux pieds de sa mère qui lui enseigne, entre deux baisers, à faire le signe de la croix. Puis elle est au couvent, chez les Dames du Sacré-Cœur, au Sault-au-Récollet, en prière devant la Madone ou dans le secret de son alcôve parfumée de sa pudeur et de ses grâces.


Pelotonnée dans une bergère, Claire rêve…

Viennent ensuite le monde et ses vertiges, les triomphes de la beauté et de l’esprit, les premières embûches, l’éveil impétueux de la chair, les faiblesses et… ah ! sa jeunesse déjà si vieille.

Mais ce n’est pas maintenant qu’il faut réfléchir, c’était hier. Aujourd’hui, tout est fini. Comme la plante fragile cassée par un coup de vent, elle est entraînée dans les caprices du ruisseau.

Ah ! si elle pouvait encore s’amender, si elle pouvait relever la tête ! mais non, hélas ! il n’en est plus temps.