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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/137

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Rédemption.

L’honneur est comme une île escarpée et sans bords :

On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors.

Ah ! il est bien dur le poète qui a écrit ces vers, mais il est juste. C’est une dure loi, mais c’est la loi. Pas de compromis possible avec l’honneur. On est honnête ou on ne l’est pas. Et puisqu’elle ne l’est plus, il n’y a qu’à se laisser aller. Pourquoi s’efforcer de redevenir bonne, vertueuse ? Le peut-on, quand on porte sur le front ce stigmate infamant, quand ou vous montre du doigt, quand le premier venu s’arroge le droit de vous insulter, assuré qu’il est de l’impunité ?

Et pourtant, pour être tombée, est-elle donc plus coupable que ces pécheresses ou adultères inconnues, femmes du grand monde ou présidentes et vice-présidentes de sociétés de charité ou de religion, d’autant plus respectées et honorées, que leur fautes sont plus hypocritement cachées.

Plongée dans ses amères réflexions, la jeune fille n’avait pas entendu une clef grincer dans la serrure, et un homme s’avancer sur la pointe du pied jusqu’à son fauteuil.

Claire poussa un cri de frayeur ; deux mains avaient bandé ses yeux et une bouche gourmande s’était appliquée sur sa nuque.

— Claire, mon loulou que crains-tu ? c’est moi.

C’était lui. Court, grassouillet, bedonnant, les cheveux blancs, cinquante-neuf ans, ni laid, ni beau, une physionomie qui ne dit rien et qui dit tout, où perce la nullité et la crapule.

Retiré riche d’un commerce d’icones et d’ornements d’église, actuellement propriétaire-éditeur d’une feuille religieuse « Le Labarum », tel était François-Xavier Larivière. En plus de ses fonctions de journaliste, François-Xavier Larivière cumulait celles de marguillier, d’époux infidèle d’une excellente femme, de père de cinq enfants et d’amant de Claire Dumont.

La feuille hebdomadaire de M. Larivière était publiée le dimanche.