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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/157

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Rédemption.

un homme riche et envié, une jeune fille brillante mais de réputation tarée, et un gueux aux loques sordides.

Dans tout ce groupement d’orgueil et de luxe insolent, le plus abject n était pourtant pas le sale mendiant. Les rayons de Roentgen qui eussent pénétré jusqu’à l’âme de ces gens, eussent mis à nu bien d’autres turpitudes gangrenées.

Intimidé par tous ces regards braqués sur lui, regards mêlés de dégoût et de curiosité malsaine, le gueux ne savait quelle contenance faire et en oubliait presque de manger, malgré la faim qui lui tenaillait l’estomac.

Réginald lui faisait apporter les meilleurs plats, les saveurs les plus douces.

— Vous devez avoir un roman comme tout le monde, lui dit-il, en lui versant à boire, voulez vous nous le raconter.

— Si vous voulez parler de ma vie, répondit le pauvre, elle n’est pas drôle, bien qu’elle ressemble à beaucoup d’autres dans sa lamentable banalité.

À cinq ans, je perds mon père, et ma mère, morts l’un après l’autre dans un intervalle d’un mois. Laissé sur le pavé, je vis comme je peux, le moins mal que je puis, de grippe et de grappe, garçon a tout faire. À vingt ans je suis apprenti dans une boutique de maréchal ferrant. Malgré mes privations et mes misères, j’étais naturellement robuste. Consciencieux et actif à l’ouvrage, je jouissais de l’estime de mon patron qui me promettait d’augmenter mes gages. Je commençais à trouver la vie moins amère. Même que j’étais sur le point d’épouser la fille du patron. Ce commencement de bonheur devait s’écrouler.

Je revenais un soir de l’ouvrage quand j’entendis des cris d’effroi. Un cheval s’était emballé, traînant après lui une voiture dans laquelle se trouvaient un vieillard et une jeune fille. Ne me fiant qu’à ma force, je sautai à la bride du cheval que je parvins à arrêter. Mais j’avais été renversé