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Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/175

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Rédemption.


UN HOMME.


Cinq heures du soir à Paspébiac. Il ne pleut pas, mais le ciel a cette teinte monotone de plomb qui pèse sur la terre et semble si bas que l’on croirait qu’il va crouler sur nos têtes. À la fin de ce mois d’avril, il reste encore ça et là sur la côte, quelques vestiges de neige.

À cause de la grosse mer, l’ « Admirail » a jeté l’ancre loin du quai. Une goélette, partie du rivage est allée prendre le fret et les passagers à bord du navire.

Les passagers, ils ne sont pas nombreux : un jeune homme et une femme. Cette dernière revient de la Contrée avec un marmot dans les bras. Comme l’enfant ne cesse de criailler, la maman toute ballottée qu’elle est par les vagues, lui tend sans façon le sein gonflé.

Le jeune homme, vêtu de noir, accoudé sur le bord de l’embarcation, a les yeux fixés sur un point de la falaise, où cependant on ne voit que la mer qui déferle en bouillons d’écume contre le roc rougeâtre.

— Quelle âpre joie de revoir ces lieux ! murmure t-il.

À peine débarqué, il fait mettre en sûreté deux fortes malles en cuir, une caisse énorme et une large boîte plate aux planches solidement clouées. Les quelques gens réunis sur le quai regardent avec curiosité. Mais lui s’éloigne rapidement. La grève, non, il ne veut pas la regarder. Plus tard quand il se sera un peu remis des premières émotions du retour. Mais aujourd’hui, cela lui ferait trop de mal. Le pont, combien de fois ne l’a t’il pas traversé avec elle ce grand pont rouge, au retour de la pêche avec les vieux ?