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Page:Girardin-Gautier-Sandeau-Mery - La Croix de Berny.djvu/42

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sante. Je flairais quelque littérature là-dessous, et je regardais, au bord de sa robe, si quelque reflet d’azur n’altérait pas la blancheur de ses bas de — soie ou de fil d’Écosse ; j’abhorre les femmes qui prennent des bains d’encre bleue. — Hélas ! c’était bien pis qu’une femme de lettres avouée. — Celles-là ont la prétention de ne parler que de chiffons, de rubans et de bonnets, et vous donnent confidentiellement les recettes pour la confiture de cédrats et la crème aux fraises ; elles mettent leur amour-propre à ne rien ignorer des choses du ménage et à suivre exactement les modes. — Vous ne trouverez chez elles ni papier, ni plume, ni encre, ni buvard. Si elles écrivent une ode ou une élégie, c’est au dos d’une facture ou sur une page arrachée de leur livre de comptes. La marquise médite des romans réformateurs, des poésies sociales, des traités humanitaires et palingénésiques, et l’on voit, sur ses tables et ses fauteuils, des bouquins solennels ayant des cornes aux endroits les plus ennuyeux ; ce qui est tout à fait menaçant. Rien n’est plus commode qu’une muse dont les œuvres complètes sont imprimées : on sait du moins à quoi s’en tenir, et vous n’avez pas toujours la lecture de Damoclès suspendue sur la tête.

Entraîné par cette fatalité qui me livre si souvent aux femmes que je ne puis souffrir, je devins le Conrad, le Lara de cette héroïne byronienne. Elle m’écrivait tous les matins des lettres datées de trois heures après minuit, auxquelles il ne manquait que d’avoir quinze colonnes pour être des feuilletons. Je retrouvais là dedans Frédéric Soulié, Eugène Sue, Alexandre Dumas, plus ou moins mis en pièces, et si j’aime ces glorieux auteurs, ce n’est pas dans ma correspondance amoureuse ou galante. Dans ces occasions-là une faute d’orthographe naïve me fait plus de plaisir qu’une phrase imitée de George Sand, qu’une tirade pathétique empruntée à quelque dramaturge en