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Page:Giraudoux - Adorable Clio.djvu/211

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depuis leur naissance, seuls au monde. Je bavardais avec les grands-mères et leur petit-fils sans paraître soupçonner qu’il avait été jadis besoin, pour former leur groupe, une minute, d’un fils ou d’un gendre. Parfois, à l’aube, un mendiant sous ma fenêtre agitait sa sébile et je me réveillais brusquement au matin, envahi de quêteuses, d’un de nos dimanches serbes, belges ou roumains. Beau pays où les machinistes, les porteurs de pianos, n’étaient pas devenus — l’art par la guerre consterné ! — de pauvres êtres fluets, et où les femmes ne marquaient pas dans les bureaux et les tramways la place d’un homme absent, la femme en demi-deuil celle d’un disparu, et où il nous fallut vivre comme j’aurais vécu, voilà trois ans, dans un pays où la mort n’existe pas, plongeant au hasard le bras dans les cœurs, parlant du passé, du futur, comme dans un pays d’enfants…

— Saluez ces officiers, car ils nous apportent la guerre !