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Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/132

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retrouvé et reconquis sa joie, ainsi qu’on serre, à moitié endormi, la main d’une grande sœur ou qu’on se rappelle, vers minuit, un bouquet de lilas que l’on cueillit la veille. Or, au matin, il retrouvait ses fleurs flétries et empoisonnées. La foire qui mugissait autour de la maison comme un déluge ou comme une armée docile, la foire qui reflue au creux des moindres ruelles, et pose sur chaque pignon municipal son drapeau, qu’a-t-elle, au fond, qui doive ainsi nous réjouir ? Demain, à cette heure, le bourg serait vidé, les étals sans tréteaux, des culs de bouteilles cercleraient le champ de foire ; il ne resterait des bohémiens que les faux boiteux, ceux qui vont deux fois plus vite que les autres et n’aiment pas marcher lentement. De même qu’un étang dont on écarta les écluses s’amoncelle à nouveau vingt lieues plus loin, la foire se reformerait là-bas, au premier réservoir venu, au premier canton inoccupé. Il suffirait de le vouloir pour la rejoindre, et l’année ne serait qu’une foire perpétuelle. Le petit duc mourra, et la foire reviendra, ambitieuse, traînant ses troupeaux vers les fils de nos bouchers. Et pourtant on l’ignore dans le département voisin ! Que pèse-t-elle auprès de la Saint-