Aller au contenu

Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuque et vos cheveux un joug auquel il se laissait tirer paisiblement, trop paresseux pour vous dépasser, et vous portiez vos deux mains au frais sur votre poitrine ; les minutes partaient sous vos pas comme des alouettes, s’engouffrant dans quelque nuage, une par une, et chacune évoquait, ô Nostalgie, tes servantes et tes domaines. D’abord l’absence, convalescence de l’amour, pendant laquelle on goûte aux liqueurs, au miel et aux friandises, pour s’intéresser de nouveau à la vie ; le cœur bat trop vite ou trop doucement ; chaque heure, chaque meuble, chaque geste cache un souvenir vers lequel on étend la main, pour la retirer aussitôt, et l’on marche à reculons dans la vie alors même qu’on ne voit plus ce qu’on quitta. Puis le mirage, qui flamboie et coule sur les sables comme l’azur sur les grès. Puis les gares, où l’on se regarde de coupé à coupé, distrait, affectant d’être désintéressé des bagages. Puis l’automne : il n’y a plus autour de la terre qu’une couche d’air chaque jour plus mince : aussi les tuiles des toits se rouillent, les cimes des arbres meurent, et c’est la saison des chasseurs, car les oiseaux ne peuvent plus monter vers les cieux, et s’y cacher.