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Page:Giraudoux - Provinciales.djvu/19

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Le samedi, je voulus m’asseoir au coin de la fenêtre, et attendre le vieux qui souriait au soleil. Que les heures, ce soir-là, furent longues, et cependant, à l’heure précise, il arriva. Tout ce qui le précédait sur la route me parut son avant-garde. Après cinq ou six laboureurs, que suivaient des chevaux dételés, les harnais sur le dos, il passa ; le soleil creusait encore toutes ses rides ; derrière lui se hâtaient des laitières et des chiens.

— Par exemple ! par exemple ! murmurait Urbaine, soulevée par une colère dont je ne sus jamais la cause.

Et, tous les soirs, le vieux revint, toujours souriant, même si le soleil était caché, sans se douter qu’il passait aussi près d’une ennemie. Parfois, il remuait la tête en cadence, comme s’il chantonnait, et voulait marcher au pas ; parfois il se mouchait, mais je n’entendais rien, même pas le bruit de ses souliers, à travers la croisée fermée. Un soir, il regardait quelque chose qui le suivait, et il semblait faire sa promenade à reculons ; un autre jour, il salua un passant, qui tourna la tête sans vouloir lui répondre ; il continua de sourire deux pas encore, puis son visage changea si soudain, que je crus que le soleil tournait. Une autre fois,