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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/111

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sur la terre de ce petit ennui, mais que dans l’existence immédiatement prochaine, tous les archanges et séraphins feront cocu. Depuis son premier roman sur Lilith (la dernière peut-être qui le trompa avant sa naissance terrestre), jusqu’à sa Suite sur la Reine de Saba (celle peut-être qui le trompe depuis douze ans), et en passant par la multitude fidèle de ses héroïnes modernes, il avait attiré sur les femmes de l’Allemagne du Sud une particulière faveur, dont l’effet se faisait sentir l’été dans les casinos de la Baltique et en hiver de Davos à Vienne par la qualité de leurs flirts. Vingt fois des privat-docents de Heidelberg trompés et furieux, des chefs d’orchestre de Salzbourg bernés, ou de jeunes et vieilles personnes de Dantzig et de Stettin jalouses des perfections méridionales avaient tenté d’introduire le doute en son âme. Emma avait surpris dans la malle d’une copiste, — le jour par bonheur de son engagement, — la Religieuse de Diderot, Schopenhauer, dont le Cygne n’avait lu que l’édition pour jeunes filles, et des albums complets aussi de photographies d’art pour lesquelles une archiduchesse respectée de l’univers servait de modèle nu, les bas peints au pinceau. Elle avait arrêté également un microphone, envoi d’une anonyme, qui répétait les dix premières phrases prononcées par une héroïne paneuropéenne qu’adorait Schwan, le jour du départ vers Samoa de l’ami pour lequel elle avait renoncé à ses titres et peut-être à la couronne : — « Quelle sale histoire que la pluie !… Ma paupière droite remue, on parle de moi !… J’ai envie de poireaux à déjeuner, c’est l’asperge du pauvre !… Quels beaux yeux ont les marins mais quelle dégoûtante histoire que la pluie,