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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/149

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parut normal de rencontrer sur mon palier la plus belle femme de l’Allemagne du Sud avec des nattes mal ajustées et semblable à s’y méprendre à un chrysanthème Bourla. Mais elle tint à me dire que cette personne devait avoir un clou dans son soulier droit. Blasé sur les affaires humaines, son œil était celui d’un lynx pour surveiller le corps humain, et sur des passants dont les démarches ne me paraissaient point différentes, elle remarquait des boiteries, des inclinaisons, et le travail, intolérable pour elle, de tous les cors, engelures et hernies.

— Eh bien ! lui dis-je, les Bernardo de Rothschild ?

— Rien encore, fit-elle tristement.

Car Geneviève, qui n’avait aucun désir, désirait être invitée chez les Bernardo de Rothschild. On n’a jamais su pourquoi. Ce n’était pas un vœu dont la réalisation fût impossible. Il est surtout nécessaire, pour être invité chez les Bernardo, qu’ils aient le plus léger soupçon que vous accepteriez. Je me proposais, à la première occasion, de leur signaler le vœu de Geneviève. Mais un destin les éloignait de ma route, qu’il parsemait des autres membres de leur famille, des Edmondo, des Alexandro, et je sentais la fin de Geneviève Prat arriver. J’aurais dû me méfier dès Paris, car tous les biens de la vie me sont venus une année ou une heure trop tard. Pour commencer par le premier, le Certificat d’études m’est venu ; j’y étais reçu en tête de la liste, à cause d’un mot sur la France que le jury avait déclaré heureux, et mon grand-père, qui m’avait préparé lui-même, qui avait, par des mots continuas sur l’honnêteté, l’orthographe, la gloire et les quatre fleuves, donné à ce mot une telle