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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/164

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France, ni le thé à six heures comme en Angleterre, éclate à n’importe quelle époque du jour, avec le suicide aux heures des repas. Un tel départ journalier dans chaque famille vers la réalité et la fortune qu’on dirait un départ pour la pêche et que Berlin donne tous les accidents de la vie d’un port. Le fils sort heureux du logis de sa mère au soleil levant, et le soir, après avoir aimé, souffert et tué, il est engagé à la légion. Bref, une vie d’éphémères, les plus gros éphémères du globe ; plus éphémères encore depuis que la journée est réglée non par le calendrier et ses saints et son temps probable, mais par le taux du change que donne le journal. En se frottant les yeux, au réveil, chaque Berlinois double ou diminue par trois ou par cinq ses projets et ses illusions, et, le crâne rasé au rasoir, ravalant son café au lait comme de l’ectoplasme, il se précipite à la besogne européenne la plus rapacement et la plus largement conduite depuis César-Auguste. Kleist rentrait chaque soir plein d’horreur et d’admiration.

— Ce sont des gens qui changent chaque jour de péché originel, disait-il…

Il pensait qu’à Berlin surtout devait être ressentie la honte de la défaite. Il n’en était rien. Pas d’affiche permanente en l’honneur du Cameroun, comme à Dachau, bourg des peintres en plein air. Pas de manifestations pour réclamer les Van Eyck et la tête du roi hottentot, comme à Tölz, ville du bon lait. Pas de chapelle édifiée en souvenir de la cathédrale de Strasbourg, comme à Graïnau, ville des sirènes et antre du paganisme. Tous ceux qui avaient pris à cœur le plébiscite de Haute-Silésie s’étaient cru, par leur passion