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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/176

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avaient installé, en 1902, les instruments chinois en fonte de bronze ravis à l’Observatoire de Pékin, s’occupaient à les dévisser pour renvoyer à la Chine son seul gain de la guerre. Un spectacle vieux berlinois si pur que chaque rue semblait une de ces rues modèles de la cité-cinéma à Los Angeles, et qu’on avait l’impression de devoir tomber au premier angle sur la rue hindoue ou sur la rue espagnole ! Mais on tombait sur un monsieur en redingote occupé à prendre les mesures du temple de l’amitié, comme si, dérobé lui aussi à la vraie Amitié, il fallait en vertu du traité de Versailles le rendre. Bien qu’ils fussent plus vivants qu’à ma dernière visite, ces lieux ne me disaient plus ce que j’attendais d’eux et je découvris pourquoi. C’est qu’ils étaient par force muets. C’est que tous les mots français avaient été rayés des cadres ou arrachés aux murs. Les cartouches des Watteau étaient enlevés, pour qu’il fût permis au visiteur de les attribuer à Troschel ou à Achenbach. Les aiguilles de toutes les pendules marquaient six heures et demie, de façon à masquer sur le cadran le mot Paris, et ce mot avait été gratté sur l’émail de la pendulette condamnée à marquer éternellement deux heures vingt, heure de la mort de Frédéric.

Ce n’était pas un vrai centenaire, puisque Gœthe n’était mort qu’en 1832, et on le sentait. Ces cent ans, au bout desquels les droits moraux d’un auteur se répandent en divins bénéfices sur sa nation, n’étaient pas encore périmés. L’ombre nonagénaire revenait, non par un jeu naturel des rapports des hommes et des ombres et au bout de cette minute qu’est un siècle pour les enfers, mais par politesse. Que n’avait-on