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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/190

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Garmisch, ou le forgeron de Kochel, clamant à voix entière les odes et à voix suraiguë les épodes, Geneviève constata que chaque vers du mari était relié à une ride de la femme, que lire une strophe du premier faisait remuer dans le visage de la seconde les deux pattes-d’oie à la fois, et se borna à découvrir que le fils Weissberger aimait dessiner et sculpter. Elle lui donna des leçons ; on ne parla plus que de peintres et de sculpteurs dans cette maison sursaturée en poètes. Quand Weissberger, un peu étonné, se laissa aller à faire des confidences sur son travail, Geneviève l’expulsa, et installa son bureau dans une soupente dont il n’avait pas le droit de sortir sans avoir sonné trois fois d’un cor de chasse. Pour donner confiance à Fanny, elle allait assidûment à la correspondance du bateau de Trelleborg, et il était bien rare, car elle connaissait toute l’Europe, qu’elle n’en ramenât pas une célébrité, a laquelle le Weissberger, extrait de sa soupente, était présenté comme un pair. Prétextant chaque réception pour un aménagement, sans rapport du reste avec l’hôte, le jour où elle ramena Anatole France qui revenait de Suède avec son prix Nobel, elle nettoya la cuisine ; le jour où ce fut Rappoport, qui allait plaider à Moscou, la chambre des enfants. Einstein partait pour Copenhague. Elle lava le plafond de l’office, ramena Einstein, et, avertie par la sœur de Lola Levy qu’il savait faire des tours avec des ficelles, elle lui lia les mains comme aux briseurs de chaînes. Il se délivra, apprit à chacun le moyen d’arriver du moins à cette liberté, et aussi des tours de cartes, et aussi à enlever le gilet sans toucher au veston. On eut besoin de la soupente pour