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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/197

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l’ordre jusqu’ici de ne pas se connaître, reprenaient dans la cour, et en évidence, le jeu qu’ils avaient péniblement poursuivi toute l’année dans un placard. Derrière leurs vitres, les quatre espions montraient les visages ahuris de savants qui ont étudié vingt ans au microscope les mœurs des microbes et qui les voient soudain autour d’eux se marier et s’ébattre grosseur humaine. Pour la première fois, des parfums, violents à la fois et fades, et tels qu’en doit exhaler le corps des chrétiens morts en odeur de sainteté, mais qui annonçaient ici un sursaut de la vie. L’agitation de la maison avait d’ailleurs un sens ; c’était vers ma voisine de chambre que venaient toutes les femmes en vêtements drapés teints de ces couleurs que l’on projette sur les femmes nues dans les cafés-concerts avec le pavillon de leur nation. Le drapeau de cette nation était rouge vif, jaune vif, or vif, en un mot arc-en-ciel vif, sur teint de safran, de pourpre et de mort. Puis on entendit un aéroplane passer. Toutes disparurent. Om ne demeura plus de visible que le casquettier et quelques hommes qui insultaient de leur fenêtre l’avion gouvernemental comme des coqs la buse. Ils lui criaient en hébreu que le ciel est à Jéhovah et en allemand qu’il n’est pas à Wirth ni à Ebert… On voyait distinctement à bord un observateur écrire sur une carte.

— Marque-moi ! criait le casquettier. Je suis Lieviné Lieven. J’ai à moi seul les deux plus beaux noms de la dernière révolution !

À neuf heures, Ida m’apporta les nouvelles. C’était bien le jour de sa naissance que Zelten avait proclamé sa dictature. On n’était pas très bien fixé encore sur l’esprit du mouvement, car dans Schwabing on avait