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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/244

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avec la Saxe ? Vous auriez dû deviner ce jour-là que j’étais né hors de l’Allemagne. Je me rends compte mieux encore depuis l’autre jour du délire sacré de votre patrie, que j’ai dansé chorégraphiquement, de sa résonance terrible, dont j’ai usé pour lire de petits discours composés, de son déterminisme épouvantable, que j’avais cru quelque phénomène politique et passager comme la course à la mer ou au Rhin, en somme de tout ce que je croyais une conséquence de la guerre, alors que les causes seules en apparaissent encore en Allemagne comme les muscles après l’écorchement. Pauvre grande nation, qui n’est plus que chair, que poumons et digestion à jour, et sans douce peau… Tout ce que je demande aujourd’hui, c’est que l’on me redonne pour patrie un pays que je puisse du moins caresser.

J’ai prévenu les autorités. Il n’y aura pas de scandale. On va me porter noyé au Stamberg. Mueller et Salem m’ont vu couler devant eux. Ils m’ont tendu une dernière fois les mains avec une force d’ailleurs qui aurait retiré vingt noyés. Krumper m’a regardé partir avec cet air à la fois dédaigneux et jaloux du soldat qui voit le soldat blessé quitter le front. Toutes les recherches et les sondages dans le lac n’ont donné aucun résultat. Dès que je reparaîtrai, dans l’Adriatique, dans le lac d’Annecy, ou le Balaton, vous serez prévenu par Eva… Adieu… Deux vrais oiseaux viennent de s’élever près de moi, de la terrasse même… Le râle des genêts et le faisan bavarois m’abandonnent…