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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/37

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vu deux ans de suite chaque jour, tu l’as vu par le soleil et par la lune, et jamais, Français, tu n’as rien soupçonné. Ces deux Américains, nos voisins (je te les dénonce tout haut, car ils ne savent pas le français ; et d’ailleurs, entre membres d’une association secrète, ce qui est le plus inutile, c’est de se comprendre quand on parle), récoltent de l’or par tous les moyens défendus pour que la directtice de la Christian Science d’Europe paie en or, règle absolue, ses dépenses personnelles… Quant à l’enfant blond qui lit le New-York Herald (le Nev-York Herald est, avec Le Gaulois, le bréviaire de tous les administrateurs de sectes, à cause de la rubrique des déplacements mondains ; on y voit tous les mariages des adeptes, et quand le premier lunaire a gagné au polo ou au billard, ou qu’un petit ami d’Eulenbourg a un fils, il reçoit le lendemain vingt bouquets et vingt télégrammes), c’est l’auteur d’un guide en Europe que j’ai pu entrouvrir une seconde, à la page qui commençait ainsi : « De toutes les villes du continent, c’est Berlin qui compte le plus grand nombre d’anthropophages… » Ne souris pas ; si tu retournes en Allemagne, ces indications te seront aussi nécessaires qu’elles le seraient à Kim s’il y portait ses pas. « À partir de deux cents âmes par kilomètre carré… », dit encore l’enfant blond dans son Guide… Mais, te rappelles-tu Maghéna ?

Maghéna était un nègre du Cameroun qui avait servi quelques jours à la Rotonde, dans un incomparable abrutissement, et qui avait disparu un soir entre le rôti et les desserts, sans apporter notre Beaujolais et pour jamais, comme ce prince hongrois qui donnait à dîner, qui sortit sous le prétexte de sur-