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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/50

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les trois sillons du ventre, les traits et le buste parfait d’après le compas des Beaux-Arts (que de fois nous l’avions mesurée !) mais pesant, quoique toujours mourante, le poids de la santé absolue sur les bascules du métro. Traversée, sans qu’elle leur offrît la moindre résistance, par les gros atomes qui déterminent les actes de ses contemporains, nationalité, coutumes, snobismes, mais barrage absolu pour les impondérables. Incapable de pressentir aucun événement, et épousant un Bavarois le 29 juillet 1914, comme elle n’aurait pas manqué d’épouser un Anglais la veille du supplice de Jeanne d’Arc, mais prévoyant tout ce qui ne dépend que des éléments et de l’âme, annonçant les sécheresses, les inondations (le contraire, en somme, de Venizelos, qui donnait en août 1914 la date où le Guatemala entrerait dans la guerre) ; mais, à la vue d’une marchande des quatre-saisons, d’une concierge, devinant avec ses regards X ce que cette forme vulgaire avait accompli dans la vie en générosités, en sauvetages ou en suicides, et le lui faisant avouer par des brusqueries et des menaces, comme à celui qui vous a avalé un louis. N’ayant au monde qu’un désir : ne pas habiter seule ; et, puisque les gens avec qui l’on habite de naissance manquaient autour d’elle, puisqu’elle n’avait père, mère, frère ni sœur, elle avait donc dû se contenter des logis de fait ou de hasard, ceux des peintres russes, des banquiers, ou des actrices du Français. S’en libérant d’ailleurs aussitôt, dès qu’on lui avait signalé l’existence de quelque cousine en province…

— Adieu, Emilio ! Adieu, Somov ! je vais habiter onze jours avec une parente à Montereau…