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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/58

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la révolution les matelots, alors tous communistes. À cette place où il avait été tant pendu durant la guerre de Trente Ans, quelques milans et des corbeaux voletaient ou tournoyaient, confondant sur nous l’odeur du sommeil avec l’odeur de la mort. Un jeune homme en manteau de peau de chien que masquait un des chevaux nous salua du gant, m’indiqua ma monture, enfourcha la sienne, et Mueller me dit adieu, d’une phrase larmoyante qu’on sentait poussée en lui par deux ou trois mille vers de Corneille et de Botrel.

Rien de trop morne ni de trop désespéré dans l’aube. Elle était luisante et correcte comme une aube d’Albert Durer. Elle nous était bienvenue comme à ceux qui n’ont pas dormi, comme aux pirates et aux mercenaires, comme aux honnêtes gens la nuit. Sur ces plateaux et ces pentes verglacées, le vent, le soleil nouveau, l’étoile du matin, — tout ce qui semble pourtant un bien commun au monde entier, — sentaient la Souabe et la Franconie à plein nez. Pas un lapin, pas un lièvre, par un genièvre et un noyer avec une grive dans l’angle comme une signature, pas un ruisseau gelé et sillonné d’une rigole à son thalweg, pas une croix, que je ne connusse déjà par le Petit ou le Grand Testament. J’étais dans ce temps épique du Saint-Empire qui continue à vivre en Allemagne le matin, alors que l’époque romantique n’y reparaît que vers midi, et, au crépuscule et dans les environs des villes, celle du Sturm und Drang. Je prenais dans l’air le plus frais ce bain de Moyen Âge que donne la Bavière à son réveil, quand ne sortent encore que les êtres et les animaux qui n’ont pas changé depuis Wallenstein, les belettes, les vairs, les courriers à che-