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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/61

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les lampes au soleil ; des percherons tachetés chair, attelés à des chèvres, déposaient devant chaque maison à enseigne fleurie un tonneau comme un œuf. Par le sentier en lacet qui mène à la chapelle ogivale, des hommes à pantalon havane et à chapeau hérissé tenaient à chaque main un backfisch à jupe rouge, à chevelure noire en coquille, et à chaînette d’or. Au-dessus d’un horizon plat où se coupaient et recoupaient d’innombrables chaussées bordées de tilleuls en boule, on voyait les Alpes. Des bassets, se ruant hors de niches en forme de cathédrales, aboyaient aux cages en forme d’abbayes, où chantaient de vieux serins d’avant la guerre et leurs métis. Sur le bassin d’un parc était apprêté pour la promenade du matin un traîneau à sonnettes en vernis Martin orange ; et, personnifiant tout cela, la grande Ida en travesti, dont j’avais, voilà quinze ans, aimé successivement et par rang d’âge les trois aînées, Trude au tennis, Elsa au bain Ungerer, et Fredy aux feux de Saint-Jean, une par élément, aurait dit Zelten. Elsa était ma préférée. Tous les mercredis et vendredis, jours mixtes, nous accomplissions à la nage le périple des paysages et des températures qui est l’attrait du bain Ungerer, des 30° du fleuve indien, par les 25 du kiosque chinois, et les 19 du canal français aboutissant au 8 de la caverne de Tannhaüser, éclairée de culs-de-bouteilles alternés d’Apollinaris et de Bordeaux ; nous en sortions juste avec la même température et la même humeur, comme après une lecture à haute voix en famille et allions nous sécher au soleil, le visage protégé et caché par un journal munichois, et le vendredi, jour chic, par Le Figaro. C’est à ce journal distingué