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Page:Giraudoux - Siegfried et le Limousin.djvu/73

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ces colonnes maréchales, ces temples élevés à la victoire de l’Allemagne, ces chevaux aussi des statues des Othon et des Maximilien, tout un personnel triomphal qui, à cette heure du moins, affectait de souffrir plus des ténèbres que de la défaite. Par crainte du gel, tout ce qu’il y avait de païen épars dans la ville, les satyres, les taureaux d’Hildebrandt, la nymphe à trois charmes, étaient recouverts, nourriture classique et saine, de baraques Vilgrain, cependant que le chimiste Liebig et l’hygiéniste Pettenkofer, en bronze et un peu luisants — quelles douze nouvelles avais-je bien à annoncer à l’hygiéniste Pettenkofer ? — semblaient des bonshommes en neige noire et commençaient à fondre. Comme Munich avait peu changé ! Il est vrai que je l’avais connue au moment où ma croissance était finie, mon pas étalonné, mon iris incompressible, mais jamais je n’avais retrouvé à ce point, même sur la Vénus de Milo à chaque passage au Louvre, la ressemblance des statues. Le visage de Pettenkofer pétillait d’hygiène et de ressemblance. Pas de ces maisons non plus que l’on retrouve plus à droite, de ces jardins que l’on retrouve tout petits, rien de ce déplacement des monuments dans la mémoire, aussi imperceptible mais aussi implacable que s’ils étaient Rathhaus ou Marienkirche, sur un glacier… Mais, voilà quinze ans, au lieu de me heurter anonymement et en fourrures à une ville enfouie sous la neige et la haine, dans des rues étincelantes bordées de palais peints et plats sur lesquels la moindre mouche par ce soleil formait un haut-relief, j’avais été dès le premier jour heurter mon nom, illustre d’ailleurs en rhétorique supérieure et dans tout Lakanal, aux