Page:Gistucci - Le Pessimisme de Maupassant, 1909.djvu/15

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Arrivés à environ trois kilomètres de la ville, sur une plage de sable fin, en face de l’immense étendue, on s’arrêta.

Guy se lança le premier à l’eau. Il nageait comme un Triton, avec une sorte de fureur, — c’était, je crois, son premier bain dans la Grande bleue — ; il piquait droit au large ; bientôt je l’eus presque perdu de vue ; sa tête seule m’apparaissait comme un point, au ras des flots calmes, où il « se développait » avec délices. Au bout d’un quart d’heure, je le vis sortir de l’eau, heureux et ruisselant, s’étirer sur le sable, puis se relever d’un bond, souriant de bien-être, les cheveux dépeignés, la moustache humide et tombante.

Il avait, en ce moment, un air particulier d’allégresse et de force. J’en garde encore, à une si grande distance, comme une vision incomparable de grâce athlétique et de virile beauté.


Quelques jours après, je devais avoir une impression bien différente.

Voulant lui faire mes adieux, car il allait partir, je vins le demander à l’hôtel où il m’avait donné rendez-vous. Le garçon me dit : « Monsieur est couché ». Mais, comme il avait reçu l’ordre de m’introduire, il me précéda sans bruit dans le couloir qui menait à la chambre que Maupassant occupait.

Il poussa la porte, et je demeurai saisi en voyant mon beau compagnon de « nage », couché tout de son long sur son lit, la face pâle, congestionnée par places, la tête enveloppée de linges et les yeux clos… Je m’avançai doucement et vins à son chevet. Il ouvrit les yeux, me tendit la main. Comme je m’excusais, faisant mine de me retirer, il m’arrêta d’un geste.

— Ce n’est rien, murmura-t-il… C’est la migraine.

Et, avec un sourire, qui me parut douloureux, il m’invita à m’asseoir, à l’attendre, jusqu’à ce que la crise fût passée.

La crise ne passait pas.