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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/14

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Premier Péché

Puis après avoir escaladé une côte immense, nous entrons dans le village si joyeusement nommé : la Pointe-à-Pic : succession de jolies villas, nichées au bord du chemin, dans un cadre verdoyant, ou enfouies dans des nids d’arbres, belles qui jouent à cache-cache, et nous découvrent soudain le sourire de leur toit rouge, ou de leurs verts volets.

La fantaisie est à l’ordre des temps, il semble qu’un peuple d’artistes ait choisi cet endroit tout de poésie étrange, douce souvent, rude parfois, tant on s’est efforcé de ne mettre dans ce cadre au charme puissant que des merveilles de goût et d’élégance.

Tout est gentil, frais, coquet, reposant, et la monotonie est inconnue dans ce coin fleuri, exquis et délicat où les mille surprises d’une nature toujours belle, s’offrent sans cesse aux regards. Tout ce que le pittoresque invente de merveilleux a été jeté là, dans une prodigalité folle, et l’on avance, ravi de ces joliesses qui se laissent admirer avec une grâce non dépourvue de cette coquetterie qui ajoute aux charmes, un charme nouveau.

Après une course rapide, dans ces voitures berçantes que l’on nomme calèches et qui font les délices des citadins en villégiature à la Malbaie ; après avoir monté, descendu bien des côtes, tourné et contourné une baie splendide, l’on aperçoit le clocher d’une petite église toute jolie ; à côté un vieux cimetière à murs décrépits où quelques tombes isolées penchent leur vieille tête dans leur désespoir solitaire.

Puis, le couvent, le cher petit couvent, où j’appris à lire… et à murmurer contre l’autorité ! Je m’arrête, ici, émue du flot de souvenirs qui agitent mon cœur, et après un regard aux deux statues dressant dans le parterre leur immobilité blanche, je monte m’agenouiller là-haut sur les dalles de ma petite chapelle, si humblement jolie… et là, je me souviens… Dans leurs robes grises, les religieuses font la procession… je souris aux unes ! et je ne regarde pas les autres ! — ne voulant évoquer dans cette minute revécue des jours passés, que les douceurs d’antan ; à quoi bon les mauvais souvenirs, chassons-les, comme ces vilains papillons qui viennent étendre leur ombre terne sur la page blanche où s’esquissent de délicieuses peintures.

Lentement je parcours les classes silencieuses dans ce besoin de me revoir enfant, et de me montrer, devenue sérieuse, aux lieux témoins de mes lutineries… les pauvres semblaient consternés ! Et je recueille miette à miette les bribes de ma petite jeunesse, en ramassant partout au dortoir, au réfectoire, à la salle de récréation, dans un corridor, dans le parloir… ma moisson faite, richesse sans nom que le cœur est avide d’amasser, je m’en vais, plus fortunée, car dans quelques instants j’ai goûté du pur bonheur.