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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/150

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L’Adieu du Poète

Crémazie

Enfin vous voilà, Jeanne, le temps me semblait si long… que j’en pleurais !

Jeanne (consolante)

Pourquoi vous désoler ainsi ? Votre attente n’est jamais vaine. Si vous saviez quels prodiges j’ai faits pour arriver plus vite… je vous sentais triste…

Crémazie (l’interrompant)

Et malade, Jeanne, si malade ! Je crois bien n’avoir plus que peu d’heures à vivre. Cependant depuis que vous êtes auprès de moi, je meurs moins vite. (Il étend les mains vers les fleurs). Ces fleurs, Jeanne, que de souvenirs elles évoquent, vous le rappelez-vous ? Oh ! dîtes, d’abord voulez-vous que nous relisions notre page de vie ?

(Jeanne s’est agenouillée près du fauteuil, elle s’appuie sur le bras du meuble et regarde le malade)

Oui, car n’est-ce pas revivre toutes nos joies que de les repasser ainsi ?

Crémazie

J’ai si peu de bons souvenirs, je veux les effeuiller sur ma tombe : ce seront les seules plantes qui y fleuriront, grâce à l’aumône de vos larmes. Et même après ma mort, vous me donnerez des fleurs !

Jeanne

Ne parlez pas de ces choses, je vous en prie !

Crémazie

Un jour, votre sensibilité exquise rayonna jusqu’à ma chambre vide et triste. Une moisson de roses tomba sur moi, comme une bénédiction…

Jeanne

Elles étaient si peu fraîches, ces roses. Elles se fanaient même, et je les aurais voulues dans toute leur beauté, mais la petite fleuriste…