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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/19

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Premier Péché

Autour du Saguenay


Il pleuvait des étoiles de la nue diamantée, pâles fusées s’échappant en étincelles, et égrenant leurs feux du firmament jusque dans la mer, la belle mer éblouie par cette caresse venue du ciel. Il en rayonnait sur tous les points pour mettre un resplendissement dans le sombre de la nuit, et avant de rendre leur dernier soupir d’étoiles, les pauvrettes mourantes filaient un regard : le suprême adieu, vers les jeunes sœurs encore lumineuses de leur étincelante beauté. Si tôt mourir, semblaient-elles gémir, et dans un flot d’argent, les jeunes mourantes s’ensevelissaient à jamais ; la vague souriait à ces blanches funérailles, et bientôt après, elle se refermait encore, irradiée, un moment, par la grâce d’une dernière expirante.

Il pleuvait de la mort, et le paysage avait un aspect funèbre. De sombres montagnes dressaient leur immense hauteur, abritant de leur masse imposante le joli Saguenay, et donnaient l’illusion d’un immense précipice, pendant que côtoyant l’abîme imaginaire, notre gracieux bateau s’avançait majestueusement dans la grande rivière, qui semblait de neige sous la blancheur tombant d’en haut. Nous croyions toucher aux gigantesques granits qui dans une attitude menaçante, semblaient de leur insolente hauteur, défier ironiquement le petit bateau : nain s’agitant au pied des géants, et qui, sans les braver, se riait tout de même de leur impuissance.

Nous apercevions de petites anses, nous devinions des grottes, nous imaginions des mondes irréels vivant sur ces rochers, génies du bien, génies du mal, que sais-je ? Peut-être les deux. Et toutes ces merveilles s’étalant ainsi dans leur beauté rude et sauvage, avec ce charme de l’inconnu qui planait sur nous, nous mettaient à l’âme, une sensation nouvelle, profonde et admirative. L’on éprouvait le besoin de regarder sans un mot, sans un souffle, de crainte qu’un mouvement même fît disparaître, comme par une malicieuse magie, les décors incomparables qui se déroulaient sous nos regards. Il y avait de l’extase, du rêve, et de la réelle grandeur dans le silence de cette belle nuit, où la nature dormait les yeux ouverts, — des yeux splendides, — par gracieuseté pour les petites étoiles si finement jolies.

C’était beau !

Au pied des caps Trinité et Éternité, nous éprouvons une