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Page:Gleason - Premier péché, 1902.djvu/47

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Premier Péché

l’aurais écoutée — toujours — me lire des vers… mais ce n’étaient pas les vers que j’entendais, c’était lui !… mon plus grand poète ! Mon idylle languissait terriblement, je devins triste, Maman déclarait que l’existence choisie ne m’allait pas, et qu’il fallait me donner un peu de mouvement.

« Maxime était là, quand maman s’en exprima avec une telle énergie, et je vis bien l’expression angoissée de ses beaux yeux bleus. Tu ne les connais pas ces yeux-là, ma chère ; ils sont uniques ! Ne ris pas, je suis très sérieuse.

« Maman sortit bientôt, et Maxime vint s’asseoir sur un petit tabouret. Tu sais, celui que j’ai brodé avec tant de zèle — tu vas voir que j’avais un pressentiment ! — Il me regardait… ses yeux n’avaient jamais eu cette éloquence. Mon cœur en battait la charge !

« — Si vous êtes ainsi triste, Jeannette, n’est-ce pas que vous aimez ?

« Il était si pâle, si ému… oh ! mon Dieu, que j’étais contente !

« Je ne répondis rien, car la vérité était difficile à dire ; il insista :

« Jeannette, vous me l’avez promis ? »

« Et bravement, j’avouai : « Oui, j’aime ! »

« — Vous aimez… et qui ? J’ai cru que ces mots-là l’étouffaient. Brûlant mes vaisseaux, je lui criai : « Vous ! vous ! vous ! vilain aveugle. » J’étais furieuse et contente de lui faire ma confession. Et lui… ma chère, ça ne se dépeint pas ! Il avait peur, le pauvre cher, que je m’amuse des quatorze ans qu’il a eu la bonne idée de vivre, avant ma naissance. Mais il aurait cent ans, que je l’aimerais tout de même… crois-tu ? Je suis folle de mon bonheur, viens vite me dire le tien. Je t’embrasse à la course, j’entends le coup de cloche qui révèle l’amoureux impatient de voir son soleil. Le soleil de mon Maxime t’embrasse chaudement.

« JEANNETTE. »


« N. B. — Tout de même, j’ai trouvé mon mari au bal ! Ces bals ! Je ne leur demanderai plus rien, puisqu’ils m’ont donné le mien ! »