Aller au contenu

Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eux. Il s’ensuivit affaires sur affaires, procès sur procès. Il se retira tout à fait dans sa maison et un jardin attenant, vécut dans une salle basse, spacieuse mais triste, où, depuis des années, ni le pinceau d’un peintre, ni peut-être même le balai d’une servante n’avaient passé. Il me souffrait volontiers, et m’avait particulièrement recommandé son jeune fils. Ses plus vieux amis, qui savaient se plier à ses habitudes, ses gens d’affaires, ses intendants, étaient reçus quelquefois à sa table, et alors il ne manquait jamais de m’inviter. On mangeait très-bien chez lui et l’on buvait encore mieux. Cependant la fumée qu’un grand poêle laissait échapper par de nombreuses fêlures incommodait beaucoup les convives. Un des plus intimes amis de M. Reineck osa lui en faire un jour l’observation, et lui demanda s’il pourrait souffrir tout l’hiver ce désagrément. Il répondit, comme un autre Timon, un Héautontimoroumène : « Plût à Dieu que ce fût ma plus grande souffrance ! » On ne put le décider que bien tard à revoir sa fille et ses petits-enfants. Son gendre n’osa jamais se montrer devant ses yeux.

Ma présence agissait très-favorablement sur cet homme aussi loyal que malheureux. Il aimait à s’entretenir avec moi, et à m’instruire surtout des affaires du monde et de l’État, et cela semblait le soulager et l’égayer. Aussi le peu d’anciens amis qui se réunissaient encore autour de lui se servaient-ils souvent de moi, lorsqu’ils désiraient adoucir son humeur chagrine et le décider à prendre quelque distraction. Il finit en effet par sortir quelquefois avec nous ; il revit les environs, sur lesquels il n’avait pas jeté les yeux depuis tant d’années. Il parlait des anciens propriétaires, nous disait leur caractère, leurs aventures, toujours sérieux dans ses discours, mais souvent serein et spirituel. Nous essayâmes aussi de lui faire revoir le monde, mais cela faillit tourner mal.

M. de Malapart était un homme du même âge que lui ou même plus âgé ; il était riche, il possédait une fort belle maison sur le Rossmarkt, et tirait de bons revenus de certaines salines. Il vivait aussi très-retiré, mais, en été, il était beaucoup dans son jardin devant la porte de Bockenheim, où il cultivait et soignait une très-belle collection d’œillets. De Reineck en était aussi amateur ; c’était le temps de la floraison, et