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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/149

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moyenne, ou, si l’on veut même, inférieure ; ils ne manquaient pas de cervelle, et, comme ils avaient fréquenté l’école, ils possédaient quelques connaissances et une certaine culture. Il y a dans une ville grande et riche des industries de tout genre. Ils gagnaient leur vie à écrire pour les avocats, à donner quelques leçons particulières aux enfants de la classe pauvre, pour les avancer un peu plus qu’on ne fait dans les petites écoles ; ils répétaient l’enseignement religieux avec les enfants plus âgés, qui devaient être confirmés ; puis, ils faisaient quelques messages pour les courtiers et les marchands, et, le soir, surtout les dimanches et les jours de l’été, ils faisaient ensemble un souper frugal.

Comme ils prônaient de leur mieux, chemin faisant, mon épître amoureuse, ils m’avouèrent qu’ils en avaient fait un usage très-amusant ; ils l’avaient copiée d’une écriture contrefaite, et, avec quelques allusions plus particulières, ils l’avaient fait parvenir à un jeune fat, qui était fermement persuadé qu’une demoiselle, qu’il avait courtisée de loin, l’aimait éperdument et cherchait l’occasion de se rapprocher de lui. Ils me confièrent ensuite que leur dupe ne désirait rien tant que de répondre en vers ; mais ni lui ni eux-mêmes n’y entendaient rien, et ils me prièrent instamment de faire moi-même la réponse désirée. Les mystifications seront toujours un amusement de gens oisifs, plus ou moins spirituels. Une méchanceté permise, la satisfaction d’une maligne joie, sont une jouissance pour les hommes qui ne savent ni s’occuper d’eux-mêmes, ni exercer au dehors une action salutaire. Aucun âge n’est tout à fait exempt de cette fantaisie. Nous nous étions souvent joué des tours dans notre enfance ; beaucoup de jeux reposent sur ces mystifications et ces attrapes ; celle-ci ne me parut pas avoir plus d’importance : je consentis. Ils me communiquèrent quelques détails que la lettre devait renfermer : elle était déjà terminée quand nous revînmes chez nous.

Peu de temps après, mon ami me pressa d’assister à une de leurs soirées. Cette fois, c’était l’amant qui voulait régaler, et il avait exprimé le désir de remercier l’ami qui s’était montré si avantageusement comme poétique secrétaire. On se réunit assez tard ; la chère fut des plus frugales, le vin potable. La