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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/151

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l’église, et j’eus bientôt découvert où elle se plaçait, et, pendant le long service protestant, je pouvais me rassasier de sa vue. À la sortie, je n’osais pas lui adresser la parole, moins encore l’accompagner, et j’étais déjà bien heureux quand elle m’avait remarqué et avait semblé répondre à mon salut par un signe de tête. Mais je ne devais pas être privé longtemps du bonheur de m’approcher d’elle. On avait fait croire à cet amoureux dont j’avais été l’interprète, que la lettre écrite en son nom était réellement parvenue à la jeune demoiselle, et l’on avait excité son impatience au plus haut point, en lui faisant espérer une réponse prochaine. C’était moi encore qui devais la composer, et la malicieuse société me fit prier instamment par Pylade de mettre en œuvre tout mon esprit, et d’employer tout mon art, afin que la pièce fût délicieuse et parfaite. Dans l’espérance de revoir ma belle, je me mis à l’œuvre aussitôt, et j’imaginai tout ce qui pourrait m’être le plus agréable, si Marguerite me l’écrivait. Tout ce que j’avais exprimé me parut convenir si bien à sa figure, sa personne, ses manières et son esprit, que je ne pus m’empêcher de souhaiter qu’il en fût réellement ainsi, et me perdis dans mes transports à penser seulement qu’elle pourrait m’adresser quelque chose de semblable. Je me mystifiais ainsi moi-même, en croyant me moquer d’un autre, et il devait encore en résulter pour moi bien des plaisirs et des chagrins. Quand on me rappela mon engagement, j’étais prêt ; je promis d’aller, et n’y manquai pas à l’heure fixée. Il n’y avait qu’un seul des jeunes gens au logis. Marguerite était assise auprès de la fenêtre et filait ; la mère allait et venait. Le jeune homme me demanda de lui lire les vers : je le fis, et je ne lisais pas sans émotion, en regardante la dérobée, par-dessus la feuille, la belle jeune fille, et, comme je croyais remarquer chez elle une certaine inquiétude et une légère rougeur sur ses joues, je n’en exprimai que mieux et plus vivement ce que je souhaitais entendre de sa bouche. Le cousin, qui m’avait souvent interrompu par ses éloges, me pria, quand j’eus fini, de faire quelques changements. Ils se rapportaient à certains passages qui convenaient mieux, il est vrai, à la condition de Marguerite qu’à celle de cette demoiselle, qui était de bonne maison, riche, connue et considérée dans la ville.