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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/16

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et chevaliers gênaient et troublaient la ville dans ses droits de chasse, ou même qu’elle était bloquée ou assiégée par les ennemis. Cela nous plaisait fort, et nous aurions voulu qu’on pût voir encore de nos jours une varenne privée comme celle-là.

Le derrière de la maison avait, surtout de l’étage supérieur, une vue très-agréable sur une étendue presque illimitée de jardins du voisinage, qui allaient jusqu’aux murs de la ville. Mais malheureusement la transformation en jardins particuliers de la place communale, qui se trouvait là jadis, avait beaucoup nui à notre maison et à quelques autres, situées vers l’angle de la rue, parce que les maisons du Rossmarkt (marché aux chevaux) s’étaient approprié de vastes arrière-bâtiments et de grands jardins, tandis qu’un mur assez élevé, qui fermait notre cour, nous isolait de ces paradis si voisins de nous.

Au deuxième étage, se trouvait une chambre qu’on appelait la chambre-jardin, parce qu’au moyen de quelques plantes qu’on y cultivait devant la fenêtre, on avait cherché à compenser le défaut d’un jardin. Quand je devins plus grand, ce fut là ma retraite la plus chère, non pas triste, à la vérité, mais faite pour la rêverie. Par-dessus ces jardins, les murs de la ville et les remparts, on voyait une plaine belle et fertile, celle qui s’étend vers Hœchst. En été, c’était là d’ordinaire que j’apprenais mes leçons, que j’attendais les orages, et je ne pouvais assez contempler le soleil couchant, auquel les fenêtres faisaient face. Mais, comme je voyais en même temps les voisins se promener dans leurs jardins et cultiver leurs fleurs, les enfants jouer, les sociétés se divertir ; comme j’entendais rouler les boules et les quilles tomber, cela réveilla de bonne heure en moi le sentiment de la solitude et d’une rêveuse langueur qui en est la conséquence, sentiment qui, répondant aux dispositions sérieuses et aux pressentiments que la nature avait mis en moi, manifesta bientôt son influence, plus visible encore dans la suite.

Notre vieille maison, avec ses recoins, ses nombreuses places sombres, était d’ailleurs faite pour éveiller le frisson et la peur dans des cœurs enfantins. Malheureusement on se faisait encore un principe d’éducation d’ôter de bonne heure aux enfants toute