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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/160

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je dus enfin être convaincu que c’était Marguerite elle-même ! Il ne me resta aucun doute, quand elle me cligna des yeux, et me fit signe que je ne devais pas trahir notre connaissance. Alors je mis, par mes hésitations, la marchande au désespoir, plus qu’une dame n’aurait pu faire. Je ne pouvais réellement choisir, car j’étais troublé au plus haut point, et d’ailleurs j’aimais mon hésitation, parce qu’elle me retenait auprès de Marguerite, dont le déguisement me fâchait, et qui pourtant me paraissait, sous ce déguisement, plus ravissante que jamais. Enfin, la marchande perdit toute patience ; elle me choisit de sa main des fleurs, dont elle remplit un carton, en me chargeant de le remettre à ma sœur, pour la laisser choisir elle-même. C’est ainsi qu’elle me mit, pour ainsi dire, à la porte, en faisant partir sa fille de boutique en avant avec la boîte.

Comme je rentrais à la maison, mon père me fit appeler, et m’annonça, d’un ton solennel, qu’on était certain maintenant que l’archiduc Joseph serait élu et couronné roi des Romains. Il ne fallait pas attendre un événement d’une si haute importance sans s’y préparer, ni rester bouche béante et l’air ébahi, à le voir passer devant soi. Mon père voulait donc parcourir avec moi les procès-verbaux des deux derniers couronnements, sans oublier les dernières capitulations électorales, pour noter ensuite quelles nouvelles conditions on ajouterait dans le cas actuel. Nous parcourûmes les procès-verbaux, et cela nous occupa tout le jour, jusque bien avant dans la nuit, tandis que la jolie Marguerite, tantôt dans ses habits ordinaires, tantôt dans son nouveau costume, passait et repassait devant moi parmi les affaires augustes du saint Empire romain. Ce soir-là, il me fut impossible de la voir, et je passai sans dormir une nuit très-agitée. L’étude de la veille se poursuivit avec ardeur le lendemain ; et ce fut le soir seulement que je pus aller voir Marguerite. Je la retrouvai dans ses habits ordinaires. Elle sourit à ma vue, mais je n’osai parler de rien devant les autres.

Quand nous fûmes tous réunis et tranquilles, elle prit la parole et dit : « C’est mal fait à vous de n’avoir pas confié à notre ami ce que nous avons résolu ces derniers jours. » Puis elle me rapporta qu’à la suite de la conversation où nous avions parlé de la manière dont chacun voulait s’employer dans le