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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/206

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croyable, une inflexible sévérité, afin de parvenir à son but, de donner à ses enfants la meilleure éducation, d’élever, d’ordonner et de maintenir sa maison bien fondée ; d’un autre côté, une mère encore enfant, pourrais-je dire, qui n’était arrivée à se connaître que dans ses deux aînés et avec eux ; tous trois, observant le monde d’une vue saine, faits pour sentir la vie et demandant des jouissances présentes : Cette lutte au sein de la famille s’accrut avec les années ; le père poursuivait son but sans s’émouvoir ni s’interrompre ; la mère et les enfants ne pouvaient renoncer à leurs sentiments, à leurs vœux, à leurs désirs. Dans ces circonstances, le frère et la sœur devaient naturellement se serrer l’un contre l’autre et se joindre à leur mère, pour saisir du moins une à une les jouissances qui leur étaient refusées en gros. Mais, comme les heures de retraite et de travail étaient fort longues, auprès des moments de repos et de plaisir, surtout pour ma sœur, qui ne pouvait jamais quitter la maison pour aussi longtemps que moi, le besoin qu’elle éprouvait de m’entretenir était rendu plus vif encore par sa langueur passionnée, qui me suivait dans mes courses lointaines.

Et comme, dans les premières années, les jeux et l’étude, la croissance et l’éducation avaient été absolument communs entre le frère et la sœur, tellement qu’on pouvait les prendre pour deux jumeaux, cette communauté, cette confiance, subsista entre eux quand se développèrent leurs forces physiques et morales. Ces intérêts de la jeunesse, cet étonnement que nous cause l’éveil de désirs sensuels qui se revêtent de formes spirituelles, l’éveil de besoins spirituels qui se révêtent de formes sensuelles, toutes les réflexions que ces choses font naître et qui répandent plus d’obscurité que de lumière, comme un brouillard couvre et n’éclaire pas la vallée d’où il veut s’élever, enfin les erreurs et les égarements qui en résultent, le frère et la sœur les partageaient et les éprouvaient, la main dans la main, et ils pouvaient d’autant moins s’entendre sur leur situation étrange, que la sainte pudeur de la proche parenté les séparait toujours avec plus de violence, à mesure qu’ils voulaient se rapprocher l’un de l’autre et s’expliquer.

C’est à regret que j’exprime d’une manière générale ce que j’ai