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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/238

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savant, judicieux, qui, après un mûr examen, ne méconnut point l’ensemble des conditions de la poésie : on peut même prouver qu’il sentit vaguement les défauts de sa méthode. Elle est remarquable, par exemple, la question qu’il s’adresse, de savoir si un certain poëme descriptif de Kœnig sur le camp de plaisance d’Auguste II est réellement un poëme, et la réponse qu’il y fait montre aussi son bon jugement. Mais, ce qui peut servir à sa pleine justification, c’est que, parlant d’un faux point de vue, après avoir parcouru le cercle presque tout entier, il touche au point principal, et se sent obligé de conseiller en terminant son livre, et en quelque sorte par forme de supplément, la peinture des mœurs, des caractères, des passions, bref de l’homme intérieur, qui est au fond le principal objet de la poésie.

On conçoit aisément dans quel trouble se sentaient jetés de jeunes esprits par ces maximes décousues, ces lois mal comprises et ces leçons éparses. On s’en tenait aux modèles et l’on n’y gagnait rien non plus : les étrangers étaient trop éloignés, tout autant que les anciens, et dans les meilleurs écrivains nationaux brillait toujours une individualité marquée, dont les mérites étaient inaccessibles et les défauts séducteurs. Pour une intelligence qui se sentait féconde, c’était une situation désespérante.

Si l’on considère attentivement ce qui manquait à la poésie allemande, on reconnaîtra que c’était un fond et un fond national. Les talents ne manquèrent jamais. Mentionnons ici Gunther, qu’on peut appeler un véritable poëte, un talent décidé, ayant l’intelligence, l’imagination, la mémoire, le don de saisir et de se représenter les objets, éminemment fécond, au rhythme facile, plein d’esprit, de saillies, et aussi d’une instruction variée : en un mot, il avait tout ce qu’il faut pour produire poétiquement une seconde vie dans la vie, dans la vie réelle et commune. Nous admirons sa grande facilité à relever par le sentiment toutes les situations dans ses poëmes de circonstance ; à les orner de pensées, d’images assorties, de traditions historiques et fabuleuses. Ce qu’on y trouve de rude et de grossier appartient à son époque, à son genre de vie et surtout à son caractère, ou, si l’on veut, à son défaut de caractère. Il ne savait pas se dompter, et voilà comment se dissipèrent sa vie et son génie poétique. Par son inconséquence, Gunther s’était frustré de l’avantage d’être placé à la cour d’Auguste II, où l’on voulait, parmi toutes les autres magnificences, avoir aussi un poëte de cour, qui pût animer et décorer les fêtes et immortaliser des splendeurs passagères. De Kœnig fut plus réglé et plus heureux ; il remplit cet office avec dignité et avec succès.

Dans tous les États monarchiques le fond de la poésie vient d’en haut ; et peut-être le camp de plaisance de Muhlberg fut-il le premier sujet national, ou du moins provincial, digne d’inspirer un poëte. Deux rois, qui se saluent en présence d’une grande armée ; autour d’eux, leur cour et leurs forces militaires, des troupes bien tenues, des combats simulés, des fêtes de tout genre… c’était assez d’occupations pour les sens et une matière surabondante pour la poésie descriptive.

Il est vrai que ce sujet avait un défaut : ce n’était là que de la pompe et de l’apparence, d’où il ne pouvait résulter aucune action. Personne,