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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/270

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Médon, et nous trouvâmes la sagesse du héros, sa magnanimité et sa vertu extrêmement ridicules, quoique la première représentation eût été fort applaudie. Dès le même soir, quand nous fûmes réunis dans notre auberge, je fis un prologue en rimes, dans lequel Arlequin paraît avec deux grands sacs, qu’il pose aux deux côtés de l’avant-scène. Après quelques lazzi préliminaires, il confie aux spectateurs que ces deux sacs renferment un sable esthétique et moral, que les acteurs leur jetteront très-souvent dans les yeux ; qu’en effet, l’un est rempli de bienfaits qui ne coûtent rien, et l’autre de sentiments magnifiquement exprimés, derrière lesquels il ne se trouve rien. Il s’éloignait à regret, et revenait plusieurs fois, exhortait sérieusement les spectateurs de prendre garde à son avertissement et de fermer les yeux : il leur rappelait qu’il avait toujours été leur ami et leur voulait du bien, et ainsi de suite. Ce prologue fut joué sur-le-champ dans la salle par notre ami Horn, mais la plaisanterie resta tout à fait entre nous. On n’en prit pas même une copie, et la feuille se perdit bientôt. Mais Horn, qui avait joué Arlequin très-joliment, eut l’idée d’ajouter beaucoup de vers à ceux que j’avais faits sur Hendel, et de les appliquera Médon. Il nous les lut, et ils ne nous firent aucun plaisir, parce que nous ne trouvions pas les additions fort spirituelles, et que la pièce originale, écrite dans un tout autre sens, nous semblait défigurée. Mécontent de notre froideur, ou plutôt de notre blâme, notre ami montra peut-être son œuvre à d’autres personnes, qui la trouvèrent nouvelle et plaisante. On en fit des copies, auxquelles la renommée du Médon de Clodius valut une prompte publicité. Le mécontentement fut général, et les auteurs (on eut bientôt découvert que cela sortait de notre clique) furent hautement blâmés. Depuis les attaques de Cronegk et de Rost contre Gottsched, il ne s’était rien vu de semblable. Nous avions d’ailleurs battu déjà en retraite, et nous nous trouvions dans le cas de la chouette vis-à-vis des autres oiseaux. À Dresde même, la chose fut trouvée mauvaise, et elle eut pour nous des suites sérieuses, sinon désagréables. Depuis quelque temps, le comte de Lindenau n’était pas entièrement satisfait du gouverneur de son fils. En effet, quoique le jeune homme ne fût nullement négligé, et que Behrisch se tînt toujours dans la chambre du