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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/272

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lut se débarrasser du gouverneur d’une manière outrageante, mais ce fut le bonheur de Behrisch. Son extérieur avantageux, ses connaissances et ses talents, sa droiture, sur laquelle personne n’avait rien à dire, lui avaient gagné l’affection et l’estime de personnes considérables, dont la recommandation le fit appeler, en qualité de gouverneur, chez le prince de Dessau, et il trouva, à la cour d’un prince à tous égards excellent, une position solide et avantageuse.

La perte d’un ami tel que Behrisch fut pour moi de grande conséquence. Il m’avait gâté tout en me cultivant, et sa présence était nécessaire pour que la compagnie retirât quelque fruit de ce qu’il avait trouvé bon de me communiquer. Il savait m’exciter à faire, dans le bon moment, mille choses agréables et bienséantes, et à produire mes talents de société. Mais, comme en ces choses je n’avais acquis aucune spontanéité, je retombai, dès que je me trouvai seul, dans mon naturel revêche et confus, qui se développa toujours plus à mesure que j’étais plus mécontent de mon entourage, car je me figurai qu’il n’était pas content de moi. Dans mon humeur capricieuse, je prenais en mauvaise part ce que j’aurais pu regarder comme un avantage ; par là j’éloignai de moi plusieurs personnes avec lesquelles j’avais été assez bien jusqu’alors, et divers désagréments, que j’avais attirés à d’autres et à moi-même par mes actes ou mes négligences, en faisant trop ou trop peu, me valurent, de la part de personnes bienveillantes, l’observation que je manquais d’expérience. Tout juge bien pensant disait la même chose de mes productions, surtout quand elles avaient pour objet le monde extérieur. Je l’observais de mon mieux, mais j’y voyais peu de choses édifiantes, et il me fallait toujours y ajouter du mien pour le trouver seulement supportable. J’avais aussi pressé quelquefois mon ami Behrisch de me dire clairement ce que c’était que l’expérience. Mais, toujours aussi folâtre, il me renvoyait d’un jour à l’autre, et, après de grands préliminaires, il me découvrit enfin que la véritable expérience consiste proprement à éprouver comment un homme expérimenté doit éprouver par expériment l’expérience. Là-dessus, à nos vifs reproches, à nos instances, il répondait que sous ces paroles était caché un grand sens, que nous ne pouvions comprendre