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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/328

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née quelques prosélytes. Salzmann connaissait beaucoup de monde, et il était partout bienvenu. C’était pour son compagnon une chose agréable, surtout en été, parce qu’on trouvait partout dans les jardins, voisins ou éloignés, un bon accueil, une bonne société, des rafraîchissements et plus d’une invitation pour telle ou telle partie de plaisir.

Dans une de ces réunions, je trouvai l’occasion de gagner très-promptement les bonnes grâces d’une famille que je visitais seulement pour la seconde fois. La compagnie n’était pas nombreuse, et, comme d’ordinaire, quelques personnes jouèrent, d’autres allèrent à la promenade. Plus tard, comme on allait se mettre à table, je vis la dame de la maison et sa sœur parler ensemble vivement et avec un embarras particulier. Je m’approchai d’elles et je leur dis : « Je n’ai aucun droit d’entrer dans vos secrets, mesdames, mais peut-être serai-je en état de vous donner un conseil ou de vous rendre un service. » Là-dessus, elles m’avouèrent leur embarras. Elles avaient invité douze personnes à leur table, et un parent arrivait de voyage en ce moment, qui allait faire le treizième, et qui serait, sinon pour lui-même, du moins pour quelques-uns des convives, un fatal mémento mori. « Le remède est bien facile, leur dis-je. Permettez-moi de m’éloigner et de me réserver un dédommagement. » C’étaient des personnes de distinction et d’excellentes manières : elles ne voulurent absolument pas accepter mes offres, et envoyèrent chercher un quatorzième dans le voisinage. Je les laissai faire ; mais, ayant vu le domestique rentrer par la porte du jardin après une course inutile, je m’esquivai et je passai doucement ma soirée sous les vieux tilleuls de la Wanzenau. On devine que je fus amplement dédommagé de ce sacrifice.

Une société nombreuse ne peut plus se passer des cartes. Salzmann renouvela les bonnes leçons de Mme Bœhme, et je fus docile, car j’avais pu voir que, par ce petit sacrifice, si c’en est un, on peut se procurer plus d’un plaisir et même une liberté plus grande dans la société. Le vieux piquet sortit de son sommeil ; j’appris le whist ; conformément aux avis de mon mentor, je me pourvus d’une bourse à jouer, à laquelle je ne devais toucher en aucune circonstance. Alors je trouvai