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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/333

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remplir l’office d’arbitre et de juge du camp dans toutes les querelles, grandes et petites, qui survenaient, quoique rarement, dans notre société, et que l’autorité paternelle de Salzmann ne pouvait apaiser. Sans les formes extérieures, qui font tant de mal dans les universités, nous composions une société dont les circonstances et la bonne volonté étaient le lien ; qu’un étranger pouvait aborder accidentellement, mais à laquelle il ne pouvait s’imposer. Dans le jugement de nos démêlés intérieurs, Lerse montrait toujours la plus grande impartialité, et, quand l’affaire ne pouvait plus se terminer avec des paroles et des éclaircissements, il savait, par des voies honorables, donner à la satisfaction qui était due une conclusion innocente. Personne, en effet, ne savait mieux s’y prendre que lui : aussi disait-il souvent que, le ciel ne l’ayant pas fait pour être un héros de guerre et d’amour, il voulait se contenter du rôle de second, entendu dans le sens du roman et de l’escrime. Comme il resta toujours égal à lui-même, et qu’il offrait le vrai modèle d’un bon et ferme caractère, son idée se grava dans mon esprit en traits aussi profonds qu’agréables, et, quand j’écrivis Gœtz de Berlichingen, je me sentis engagé à consacrer le souvenir de notre amitié, et je donnai le nom de Franz Lerse au brave homme qui sait se subordonner si noblement.

Tandis qu’avec sa brusquerie humoristique, il continuait à nous avertir de ce qu’on doit aux autres et à soi-même, et de la conduite qu’il faut tenir pour vivre, autant que possible, en paix avec les hommes, et se mettre à leur égard dans une certaine posture, j’avais à combattre au dedans et au dehors avec des obstacles et des adversaires tout différents, car j’étais en lutte avec moi-même, avec les choses, même avec les éléments. Ma santé était assez bonne pour suffire à tout ce que je voulais et devais entreprendre. Seulement, il me restait encore une certaine irritabilité, qui ne me laissait pas toujours dans mon équilibre. Le bruit m’était odieux ; la vue des infirmités me causait de l’horreur et du dégoût ; mais j’étais surtout tourmenté d’un vertige, qui me prenait chaque fois que je regardais d’un lieu élevé. Je cherchai à me guérir de ces faiblesses, et, comme je n’avais pas de temps à perdre, je procédai d’une manière un peu violente. Le soir, quand on battait la retraite, je suivais, avec la