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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/355

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intellectuelle, ils restèrent néanmoins petits eu égard au monde, et, comparées à une vie plus animée, leurs relations extérieures étaient nulles. Le jour est long, la nuit est longue aussi ; on ne peut versifier, agir, donner toujours ; leur temps ne pouvait être rempli comme celui des gens du monde, des grands et des riches : ils donnèrent donc à leur existence singulièrement étroite une trop haute valeur, à leur vie journalière une importance qu’ils ne pouvaient, s’avouer qu’entre eux ; ils se complaisaient trop dans leurs plaisanteries, qui pouvaient amuser un moment, mais qui ne méritaient nullement de fixer plus tard l’attention ; ils recevaient de chacun les louanges et l’honneur qu’ils méritaient ; ils les rendaient avec mesure, mais toujours trop largement ; et, parce qu’ils sentaient que leur affection était d’un grand prix, ils se plaisaient à en répéter l’expression, sans y épargner ni l’encre ni le papier. Ainsi naquirent ces correspondances dont le vide étonne la génération nouvelle, excusable de concevoir à peine comment des hommes éminents pouvaient se plaire à un tel échange de pauvretés, de regretter hautement qu’on ait imprimé de telles choses. Mais laissons ces quelques volumes dormir, avec tant d’autres, sur les rayons des bibliothèques : ils nous auront appris du moins que l’homme le plus excellent ne vit que du jour, et qu’il est réduit à un pauvre régime, quand il se replie trop sur lui-même et néglige de puiser dans le riche trésor du monde extérieur, qui peut seul nourrir sa croissance, et en même temps lui en faire connaître la mesure.


Ces hommes avaient atteint leur plus beau développement quand nous commencions, nous autres jeunes gens, à nous mouvoir dans notre sphère, et j’étais assez disposé, avec de jeunes amis, même avec des personnes plus âgées, à tomber dans ces cajoleries, cette indulgence et ces admirations mutuelles. Ce que je produisais dans mon entourage pouvait toujours être jugé bon ; les dames, les amis, les protecteurs, ne trouveront pas mauvais des vers composés pour leur plaire. Les prévenances n’aboutissent qu’à un vain échange de compliments, et, dans ce verbiage, un caractère se perd aisément, si la trempe ne lui donne de temps en temps un mérite plus relevé. J’eus donc lieu de me féliciter de ce que, par une liaison inattendue, tout ce qui pouvait agir ou sommeiller en moi de suffisance, d’amour-propre, de vanité, d’orgueil, fut soumis à une très-rude épreuve, unique en son genre, sans proportion avec le temps, et qui n’en fut que plus sensible et plus pénétrante. En effet, l’événement le plus considérable, qui devait avoir pour moi les suites les plus importantes, fut la connaissance que je fis de Herder et l’intimité qui en résulta. Il avait