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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/364

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de préparations et de coopérations pour jouir d’une existence tolérable, que, s’il voulait rendre toujours au soleil et à la terre, à Dieu et à la nature, aux ancêtres et aux parents, aux amis et aux compagnons, la reconnaissance qui leur est due, il ne lui resterait plus ni temps ni sentiment pour recevoir de nouveaux bienfaits et pour en jouir. Or, si l’homme naturel se laisse dominer par cette humeur légère, une froide indifférence prend toujours plus le dessus, et l’on finit par considérer le bienfaiteur comme un étranger, au détriment duquel on oserait même, dans l’occasion, faire quelque entreprise, si l’on y trouvait son avantage. C’est là seulement ce qui mérite, à proprement parler, le nom d’ingratitude. Elle résulte de la grossièreté, dans laquelle le naturel sans culture doit nécessairement se perdre à la fin. Quant à la répugnance pour la gratitude, qui paye un bienfait par l’humeur chagrine et morose, elle est très-rare et ne se rencontre que chez les hommes éminents, qui, avec de grandes dispositions, dont ils ont le pressentiment, étant nés dans une condition inférieure ou un état indigent, doivent, dès leur jeune âge, se frayer un chemin pas à pas, et accepter de toutes parts des secours et des appuis, que la grossièreté des bienfaiteurs leur fait trouver quelquefois fâcheux et rebutants ; car ce qu’ils reçoivent est terrestre, et ce qu’ils donnent en échange est d’une nature plus relevée, en sorte qu’une véritable compensation ne se peut concevoir. Lessing, qui, dans ses plus belles années, appréciait si noblement les choses de la terre, s’exprima une fois là-dessus tout crûment, mais avec gaieté. Herder, au contraire, ne cessa pas d’empoisonner pour lui et pour les autres les plus beaux jours, parce qu’il ne sut pas modérer dans la suite, par la force d’esprit, le chagrin qui avait dû le saisir dans sa jeunesse.

On peut très-bien exiger cela de soi : car, ici encore, les lumières naturelles, toujours promptes à éclairer l’homme sur sa situation, deviennent le gracieux auxiliaire de sa perfectibilité. Et, en général, dans bien des cas d’éducation morale, on ne devrait pas être trop sévère pour les défauts, et ne pas y chercher des remèdes trop graves et trop éloignés, car certains défauts peuvent se corriger fort aisément et presque en jouant. Ainsi, par exemple, il suffit de l’habitude pour éveiller, pour