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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VIII.djvu/382

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beaucoup l’humeur hospitalière et les grâces de cette famille. Il n’en fallait pas tant pour séduire un jeune cavalier, qui avait déjà pris l’habitude de passer à cheval et en rase campagne toutes ses journées et ses heures de loisir. Nous résolûmes donc de faire aussi cette partie, mais je me fis promettre par mon ami qu’en me présentant, il ne dirait de moi ni bien ni mal ; qu’il me traiterait en tout avec indifférence ; qu’il me permettrait même de me présenter, sinon mal vêtu, du moins d’une manière pauvre et négligée. Il y consentit, et même il s’en promit quelque divertissement.

C’est une fantaisie pardonnable des personnages marquants de dissimuler, dans l’occasion, leurs avantages extérieurs pour laisser agir uniquement le mérite intrinsèque de l’homme. Aussi l’incognito des princes et les aventures qui en résultent ont-elles toujours quelque chose d’extrêmement agréable. Ils semblent des divinités déguisées, qui doivent tenir compte doublement de tout le bien qu’on fait à leur personne, et qui sont en position de passer légèrement sur les choses désagréables ou de s’y dérober. Que Jupiter ail trouvé du plaisir dans son incognito chez Philémon et Baucis, et Henri IV chez ses paysans, après une partie de chasse, la chose est tout à fait naturelle et l’on s’y intéresse ; mais qu’un jeune homme sans importance et sans nom veuille, par fantaisie, tirer de l’incognito quelque plaisir, bien des gens pourraient y voir une présomption impardonnable. Toutefois, comme il ne s’agit pas de savoir si les sentiments ou les actes sont répréhensibles ou louables, mais de suivre leur manifestation et leur accomplissement, nous voulons bien cette fois, pour notre amusement, pardonner au jeune homme sa fantaisie, d’autant plus, il faut l’ajouter ici, que mon père, si sérieux, avait éveillé en moi dès mon enfance le goût des déguisements.

Cette fois encore, au moyen de mes vieilles hardes et de quelques autres que j’empruntai, et par la manière dont j’arrangeai mes cheveux, je m’étais si bien défiguré, ou du moins si drôlement ajusté, que, chemin faisant, mon ami ne pouvait s’empêcher de rire, surtout quand j’imitais parfaitement la tenue et les gestes de ces figures à cheval qu’on appelle des cavaliers latins. La belle chaussée, le temps magnifique et le voisinage